GOOGLE
Vous êtes : Accueil > Veille > Dossiers documentaires > Le verre en chimie douce
>

Revenir à la liste des dossiers Liste complète des dossiers documentaires

Liste complète des dossiers :

LE VERRE EN CHIMIE DOUCE

par Marie-Alice Skaper (Cerfav), 2011

Le verre se fabrique par fusion d’un sable de silice auquel on ajoute des fondants tels que la soude ou la potasse et un stabilisant tel que la chaux. Cette réaction à très haute température demande énormément d’énergie et se situe à l’opposé de ce que l’on appelle une « chimie douce »

Le terme de chimie douce date des années 80, il est né de la volonté de réussir à synthétiser des matériaux à température ambiante en s’inspirant de ce que font certains êtres vivants. Le cas des diatomées est typique ces algues unicellulaires microscopiquesproduisent du verre à partir de silicates dissous pour s’en faire une coquille protectrice.

Produire du verre à température ambiante ?
Voilà une idée intéressante si l’on pense économie d’énergie, bilan carbone, émission SOx et NOx…

Le verre est fait à partir de sable de silice, le tout est de dissoudre cette silice et permettre les réactions… La silice est soluble dans la soude. Une expérience très facile à réaliser permet de créer des structures solides vitreuses à température ambiante : les jardins chimiques.
Ces jardins, étudiés par Stéphane Leduc dans les années 1900, se forment par précipitation d’ions métalliques dans une solution de silicate de soude, donc de la silice fondue. M. Leduc, face aux croissances colorées qui apparaissent telles des algues ou végétaux, pense alors avoir recréé la vie. Ce n’est pas le cas, puisqu’il s’agit uniquement de métaux qui réagissent avec la solution et forment des masses inertes, mais l’expérience reste intéressante ne serait-ce que pour l’esthétique et la facilité de mise en oeuvre (des kits tout prêts s’achètent sur internet !). L’association Les atomes crochus par exemple s’en sert beaucoup pour ses activités de médiation culturelle dans le domaine des sciences expérimentales.

Mohamed Zahaf, ingénieur chimiste au Cerfav | Vannes-le-Châtel, s’est amusé à faire cette expérience des jardins chimiques : « Dans un récipient en plastique, j’ai mélangé ½ volume de solution de silicate de sodium avec 1 volume d’eau distillée. J’ai fait tomber au fond du récipient des grains de sels métalliques. Comme par enchantement, j’ai alors assisté à une croissance « d’algues » multicolores qui essayaient tant bien que mal de conquérir chacune son propre espace. C’était un spectacle magique ».
On précipite donc des ions métalliques dans de la « silice liquide ». Peut-on vraiment parler de verre ?
Si l’on revient sur le cas des diatomées, elles utilisent également de la silice dissoute (acide silicique), mais réalisent une réaction chimique qui supprime des molécules d’eau pour lier les atomes de silice et produire du verre. Elles possèdent des enzymes et protéines qui facilitent cette réaction, et les spécialistes de la chimie douce ont cherché d’autres précurseurs qui permettraient la même synthèse. C’est ainsi que le procédé sol-gel a été développé : des précurseurs à base de silice sont mis en solution, une réaction d’hydrolyse produit la silice qui ensuite condense.

Les particules qui apparaissent au début de la réaction forment des « sols » (des solides dispersés dans une phase liquide), puis au fur et à mesure de la polymérisation forment des « gels » (des liquides dispersés dans une phase solide). En séchant ce gel, on obtient le verre.

Les champs d’application des sol-gel sont très vastes : ils vont de la fibre jusqu’au double vitrage en passant par les couches minces. Un usage très courant aujourd’hui, comme nous avons pu le constater lors du dernier salon Glasstec de Düsseldorf, est la décoration par imprimante utilisant des encres sol-gel. Outre le fait de pouvoir réaliser des matériaux purement inorganiques, elles sont aussi bien appropriées pour la synthèse de verres hybrides organo-minéraux. En associant ces deux mondes riches, organique et inorganique, la synthèse sol-gel ouvre un champ nouveau dans le domaine des matériaux vitreux, avec par exemple le monde médical.
Mais cette technique par la voie de la chimie douce donne un verre hydraté qui n’a pas le même comportement qu’un verre sortant d’un four de fusion. Les applications de ces deux modes de synthèse du verre sont donc aujourd’hui différentes, ce qui fait que le verre de masse reste pour l’instant un art du feu.

• Association « Les atomes crochus »
www.atomes-crochus.org
• « La biologie sythétique » par Stéphane Leduc
www.peiresc.org/bstitre.htm


DU JARDIN CHIMIQUE AUX APPLICATIONS INDUSTRIELLES

Entretien avec Jacques Livage, professeur honoraire au Collège de France

Jacques Livage, Professeur au Collège de France, est un pionnier dans le domaine de la chimie douce. Ses travaux, dont le but est de copier les procédés de biominéralisation qui permettent d’obtenir des matériaux de type verre dans des conditions douces (sans étape de fusion à haute température), l’on conduit à développer des procédés sol-gel qui trouvent aujourd’hui de nombreuses applications industrielles.

Marie-Alice Skaper : M. Livage, vous connaissez les jardins chimiques créés par Stéphane Leduc et utilisés pour des animations art-science. Comment définiriez-vous scientifiquement le « verre » produit par ces jardins ? D’ailleurs, peut-on vraiment dire qu’il s’agit d’un verre ?
Jacques Livage : Il s'agit en fait de précipités de silice hydratée  amorphe SiO2, nH2O. Ce ne sont pas a priori des verres, mais des composés amorphes. En particulier il n'y a pas de transition vitreuse.

Les procédés sol-gel permettent aussi d’obtenir des matériaux vitreux sans étape de fusion. Des alcoxydes (que l’on trouve dans le commerce) mis en solution donnent de l’acide silicique qui, par polymérisation, finissent par former un verre. Comment compareriez-vous ce procédé avec la précipitation des sels métalliques ajoutés à la silice dissoute pour les jardins chimiques ? Peut-on considérer que le principe de base est le même ?
C'est la même chimie, précipitation de silice hydratée en fonction du pH. Ceci étant, comme on ajoute un sel métallique, on peut obtenir un composé silicate plutôt que de la silice.

Le sol-gel est surtout utilisé aujourd’hui pour le dépôt de couches qui permettent d’apporter certaines propriétés, ou pour la décoration. Pourquoi ne peut-on pas l’utiliser pour des choses un peu plus massives ?
Le problème du sol-gel est que l'on obtient des composés hydratés. Il faut éliminer l'eau par chauffage. Le solide se brise lors du départ de l'eau et on obtient une poudre. Pour éviter cela, il faut des films minces et non pas des matériaux massifs. Pour avoir des matériaux massifs, il faut sécher très lentement ou faire des hybrides organique-silice.

Lors de la phase gel (avant déshydratation), ne peut-on imaginer s’en servir pour du prototypage rapide en l’injectant dans une buse d’imprimante 3D ?
On peut déposer le gel ou la solution colloïdale à l'aide d'une imprimante à jet d'encre.

Pour finir, un artiste pourrait-il réaliser dans son atelier son petit jardin chimique ou son gel de silice, récupérer la phase verre et la mettre en forme pour créer sa pièce en verre poreux avant séchage, ou d’autres étapes sont-elles encore nécessaires pour en arriver là ?
Cela doit être possible après une mise au point de la technique.
Lors d'une expérience, j'étais arrivé à conserver le jardin dans un bloc de gel vitreux.